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mercredi 4 janvier 2017

Article paru dans Libération

Collèges publics, collèges privés : pour une mixité sociale partagée


       En tant qu’habitants et parents du 18 ème arrondissement, concernés par des mesures visant la

mixité sociale dans les collèges, nous sommes témoins d’une médiatisation caricaturale du débat

soulevé par l’expérimentation « multi-collèges ». En effet, depuis le 30 novembre, où a été

divulgué le projet touchant les collèges Berlioz et Coysevox, il n’est pas rare de lire que notre

collectif mène une « fronde contre la mixité sociale » ou qu’il ne la veut que « chez les autres ».

Cette tribune nous offre l’occasion d’exposer la raison principale de notre résistance à ce

dispositif : en l’état, il n’est pas un projet de mixité sociale.



       Pour en rappeler le contexte, cette expérimentation a été hâtivement conçue pour la rentrée

2017 afin de répondre aux difficultés touchant des collèges publics parisiens. Les problèmes

rencontrés au collège Berlioz exigent en effet une réponse institutionnelle : la moitié des élèves

vient de milieux défavorisés et son taux de réussite au brevet (49 % en 2015) en fait l’un des dix

derniers collèges de France, dans le groupe D du classement de L’Etudiant. Cette année-là, les

équipes éducatives y ont exercé leur droit de retrait pour « danger grave et imminent » après deux

agressions de professeurs, déplorant à l’occasion un manque criant de moyens et de personnels.

Quant au collège Coysevox, situé à moins d’un kilomètre, le constat semble plus positif, mais

reste insatisfaisant : ses 80% de réussite au DNB (groupe C du classement) le situent 7 points au-

dessous de la moyenne de 2015. Il n’y a donc pas lieu de parler de « l’attractif collège Coysevox »,

ni d’un collège « bobo », expression toujours utile dans une rhétorique du dénigrement peu

soucieuse de mener une véritable enquête.


       En réalité, l’absence de mixité dans le collège Berlioz vient essentiellement des stratégies

d’évitement des habitants s’alarmant de sa réputation. S’il y a un enclavement de populations en

grande difficulté sociale dans ce quartier, les milieux plus favorisés y sont toutefois présents, mais

délaissent cet établissement. Le collège Coysevox est, quant à lui, dans un équilibre fragile et

récemment conquis : il est devenu socialement mixte, mais reste contourné par des parents

inquiets de ses résultats médiocres. Or, début décembre, la communication maladroite des

tenants du projet a encore aggravé cette situation, entraînant une forte augmentation des

demandes d’inscriptions dans les collèges privés. La stigmatisation du collège Berlioz s’en trouve

accrue, le déséquilibre est amorcé pour le collège Coysevox : l’écart se creuse entre la mixité réelle

du quartier et la ségrégation des collèges publics.


       Au fond, l’expérimentation actuelle se heurte à une objection massive : aucun des quatre

collèges, privés et publics, les mieux lotis de l’arrondissement ne vient équilibrer le dispositif. Plus

largement, « aucune des zones tests n’intègre les collèges les plus huppés de la capitale », rapporte

Le Monde. Ce à quoi le Rectorat répond par l’argument obscur de « l’acceptabilité sociale ». Mais

est-il « socialement acceptable » que soient écartés des établissements qui n’intègrent que 1%

d’élèves issus de PCS défavorisées 1  ? Est-il réaliste d’afficher à l’horizon de cette fusion entre

deux collèges un taux de 33% prévu par la Mairie (contre une moyenne parisienne à 16%), alors

que bien des familles se tourneront vers le privé qui détient finalement l’arbitrage de la mixité ?

Nulle réponse n’est apportée à ceux qui demandent pourquoi les collèges privés des alentours

sont absents du dispositif : Saint-Vincent, Saint-Louis et Saint-Michel des Batignolles ont plus de

1 Catégorie regroupant les chômeurs, inactifs non retraités et ouvriers.

90% de réussite au DNB et recrutent des élèves très favorisés. L’article de Thomas Piketty, publié

dans Le Monde en septembre, proposait pourtant cette issue aux problèmes de ségrégation sociale

sur le sol parisien : « En faisant rentrer les collèges publics et privés dans un même système

d’affectation des élèves, il est possible de faire fortement progresser la mixité sociale au collège. »

C’est précisément ce dont nous sommes convaincus : car nous ne refusons aucunement l’idée

d’intégrer les collèges Berlioz et Coysevox à une même expérimentation, à condition qu’elle soit

multi-collèges et non bi-collèges, et qu’y participent également les établissements publics et privés

les plus privilégiés.


       Alors que l’Etat semble vouloir promouvoir la mixité sociale via la carte scolaire, il

subventionne de fait son contournement en finançant massivement l’enseignement privé ; les

salaires des enseignants y sont ainsi payés par nos impôts. Pourtant, en contrepartie de ce

financement, des pays européens comme la Belgique et l’Espagne exigent le respect de règles de

recrutement. Il n’y a donc pas d’autre obstacle à cette mesure qu’une frilosité politique qui fait

offense à la justice sociale. Certains rétorquent qu’imposer des contraintes aux établissements

privés risquerait, en France, de relancer la « guerre scolaire ». Mais il faut prendre conscience de

ce que cela implique : l’absence de courage politique reporte sur des familles, majoritairement

issues des classes moyennes et respectant la carte scolaire, la responsabilité de résoudre un

problème qui les dépasse.


       Faute d’une mixité sociale réelle et en l’absence de toute innovation pédagogique, l’impact

mécanique de la fusion entre ces deux collèges semble donc bien risqué pour l’avenir des enfants.

Préférant caricaturer une demande de révision du projet, les représentants institutionnels jouent

sur la culpabilité des acteurs locaux, effet plus facile à produire chez ceux qui sont soucieux de

mixité que chez ceux qui valorisent l’entre-soi. Cela conduit surtout à renforcer des inquiétudes et

des clivages dont le 18ème arrondissement n’a pas besoin, et qui contrastent avec le vivre-

ensemble auquel nous tenons, nous qui habitons ce quartier, sans désir d’en partir.

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